Les beaux
jours de l'étang.
Le joli
temps de l'étang clair n'est plus.
Nostalgie des pêches miraculeuses. L'accent
seul demeure sur les quais.
C'était
du temps où l'étang était beau, salé, clair, comme
de l'eau de roche, où l'on voyait danser les algues
vertes dans le fond ; où le vent des Dames, l'été,
faisait arriver des effluves de mer propre et iodée.
L'étang si salé, qu'il était bordé par endroits,
d'énormes damiers blancs appelés "Salins de
Berre". Notre petit port abritait toute une
flottille de bateaux de pêche. Le plus souvent on
naviguait à voiles, les moteurs ne servaient qu'à
dépanner au cas où il prendrait envie au Dieu Éole
de faire un caprice.
Le
jour à peine levé, on entendait partir l'armada des
pêcheurs qui allaient relever les filets mouillés la
veille. Les"Chiron" Jeanneau, Laroche,
Carlu, Le Bourgeois se disaient bonjour bruyamment,
sautaient dans leur bateau et prenaient le large.
A
leur retour, leurs femmes étaient sur le quai pour
aider à trier le poisson. Les petits
"canadelles, roucaou, crevettes, girelles"
dans les caisses pour la soupe. Les gros, tels que
loups, muges dans d'autres caisses. Il y avait parfois
des muges poutarguiers, ceux qui portaient dans le
ventre la célèbre poutargue que l'on disait être
meilleure que le caviar (et c'est peut-être vrai !).
Ceux là, ils les connaissaient et les gardaient
souvent pour eux. La poutargue serait séchée sur des
fils tendus au grenier. Elle régalerait les agapes de
Noël ou servirait d'entrée avant une bonne
bouillabaisse.
Professionnels
et amateurs.
Lorsque
la pêche était trop conséquente pour la criée, les
femmes prenaient des carrioles, (les mêmes qui
servaient pour aller faire la bugade) et partaient
dans les rues ou sur la route en criant à
s'époumoner : "Au peï ! Il y a de tout et
ça dégouline encore ! ". Il y avait aussi
des arrivages d'oursins et de moules, si bien qu'une
véritable petite industrie s'était crée sur le quai
et dans les remises proches du port. Des femmes
débarrassaient les coquillages de leur gangue et des
herbes. Elles les calibraient car ils étaient
destinés à la restauration et à l'exportation.
L'étang était un véritable parc naturel et ses
moules jouissaient d'un véritable renom. Un proverbe
bien de chez nous dit : "Désan Chamas, n'es
jamais sorti dé marri musclé" . ("De
Saint-Chamas, il n'est jamais sorti de mauvaises
moules").
Mais
il n'y avait pas que les pêcheurs professionnels qui
sillonnaient l'étang. Il y avait aussi ce que l'on
appelle des plaisanciers. Des amoureux du vent du
large qui, ayant acheté un bateau, occupaient leurs
loisirs dès les beaux jours venus, à jeter leurs
filets appelés "ganguis" dans les endroits
poissonneux. Ils retiraient toujours (grosse ou
petite) une soupe de canadelles ou de moules qui, à
la friture régalaient la famille et les invités du
dimanche. Parfois de beaux muges sautaient dans leurs
filets. On les faisait griller sur la braise, en
arrosant de temps en temps d'huile d'olive, une
feuille de laurier servant de pinceau.
A
l'époque des oursins, qui commence à l'automne, ces
châtaignes de la mer restaient accrochées dans les
filets. Des oursins pleins et roux à souhait, dont on
emplissait les corbeilles. Il n'y avait plus qu'à
avoir la patience de les ouvrir.
Mais
l'étang n'est plus ce qu'il était. Le progrès est
venu, amenant avec lui, l'envers de la médaille. La
question se pose. Reverrons-nous l'étang quand il
était beau, salé, clair comme de l'eau de roche et
où l'on voyait danser les algues vertes dans le fond
?
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