- J'arrête volontairement
cet historique à la date de l'accession au pouvoir
d'Hissene Habré, mon sujet étant la genèse du conflit
et non pas son évolution ultérieure.
- Il paraît clair que si l'on fait abstraction des
conflits internes, qui ne sont en fait que guerres
civiles successives, le Tchad n'a jamais revendiqué
autre chose que la légitimité de sa frontière
septentrionale.
- Comme on l'a vu, cette guerre des frontières ne peut
s'expliquer que par la mégalomanie du colonel Kadhafi.
En effet, lui même nomade de la tribu kadhafa, rêvait
de régner sur tout le sahara. Il se voyait l'inspirateur
de toutes les tribus nomades; ces touareg, coupés par
des frontières dont ils ne connaissent pas la
signification, et humiliés par les arabes ou par les
noirs, ( termes génériques, sans aucun apriori racial ),
dans chacun des pays à l'intérieur desquels ils
nomadisent.
- Ces touareg, séduits depuis dix ans par des appels
radiophoniques prônant la révolution berbère, vinrent
en masse à Sebka, camp d'entraînement libyen.
- Avec la promesse de travail bien rémunéré, ils
vinrent tous, qui du Niger, qui de Mauritanie, du Mali ou
d'Algérie. Engagés dans la légion islamique, ils
commencèrent à ne plus comprendre quand Kadhafi les
envoya aider Amin Dada en Ouganda.
- Une des plus importantes tribu targui, les Kellajjer,
est sédentarisée de force à Al Khofra, autre camp
d'entraînement libyen, situé dans le sud du fief de
Kadhafi; ils y sont transformés en larbins.
- Quand on connaît l'aversion des touareg pour le
travail, on peut comprendre leur désillusion. Pour eux
le travail manuel est quelque chose de réservé aux
esclaves. Eux, ils sont nés pour faire la guerre.
Un targui kelajjer
raconte:
" Nous avons fait confiance
à Kadhafi parce qu'il se disait lui aussi un nomade du désert.
Nous avons vite changé d'avis. S'il veut nous sédentariser,
c'est qu'il veut faire de la Libye le centre d'un monde
arabo-berbère, dominé par lui.
- Pour nous maintenir à Al Kofra, il a scolarisé nos
enfants à 200 km de l'oasis. Il en fait des petits
libyens. Nos femmes lavent le linge des officiers. Alors
nous faisons fuir les jeunes couples avant qu'ils ne
prennent leurs enfants.
Nous n'avons comme patrie que le désert".
- Cette dernière phrase résume
le fond du problème ethnique de ces peuples nomades,
peuples concernés par la frontière nord. Dans leurs
langues, le mot frontière n'existe pas.
- Que dire de plus, si ce n'est que même en supposant qu'il y ait un jour un règlement à ce problème, les
querelles internes existeront toujours. Et cela, personne
n'y peut rien.
- Prenons pour preuve cet exemple
significatif:
Après la bataille de Ouaddi-Doum, début janvier 1987,
de nombreux blessés furent regroupés à Kalaït, au
nord du 16 ème parallèle.
Les blessés ne faisant pas partie de l'ethnie qui avait
gagné, c'est à dire les Goranne, n'étaient pas soignés,
( je l'ai vu de mes yeux ), et mouraient dans leur coin!
Pourtant, ils avaient contribué largement à la victoire.
- Autre fait qui indique les
problèmes d'évolution du Tchad:
L'évolution, oui, mais il faut qu'elle soit pour tous,
et en gardant la hiérarchie traditionnelle. Sinon l'évolution
est refusée en bloc par l'ensemble de la population qui
ne peut concevoir une société au sein de laquelle tous
seraient sur le même pied d'égalité.
Il existait une hiérarchie, il faut qu'elle subsiste sous
peine d'effondrement pur et simple de toutes les valeurs
traditionnelles.
- Évolution donc, mais dans le sens du maintien des
traditions.
- Ne creusez pas un puits à côté
d'un village, il sera immédiatement rebouché, et les
femmes continueront à aller tirer l'eau là où elles le
font depuis des générations.
- Cependant, dans les villes et dans les grosses
bourgades, le problème est un peu différent, et une
certaine évolution est en train de naître.
Sur ce plan, la partie n'est peut-être pas perdue et
c'est une réelle chance qu'il faut exploiter à fond.
- Le Tchad, pays de disparités,
ne peut devenir un pays digne de ce nom qu'à la
condition que chacun de ses habitants prenne conscience
d'une unité nationale et à condition également que la
voie de l'évolution reste ouverte.
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